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5 avril 2021

Apocalypse cognitive

Gérald Bronner - Apocalypse cognitive - PUF, 2021 - 385 p. - 19€

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La situation est inédite. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, nous n’avons disposé d’autant d’informations et jamais nous n’avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. Nos prédécesseurs en avaient rêvé : la science et la technologie libéreraient l'humanité. Mais ce rêve risque désormais de tourner au cauchemar. Le déferlement d’informations a entraîné une concurrence généralisée de toutes les idées, une dérégulation du « marché cognitif » qui a une fâcheuse conséquence : capter, souvent pour le pire, le précieux trésor de notre attention.

L'auteur fait un constat. Le temps de cerveau disponible n'a jamais été aussi important : le temps de travail en France représente 11% du temps réveillé contre 48% en 1800. La scolarisation s'est généralisée. Par contre, le temps de sommeil a diminué. Notre attention est capturée par les écrans : l'industrie du chewing-gum est en crise car notre attention à la caisse n'est plus attirée par les présentoirs à friandises mais par l'écran de notre téléphone ! La lecture pâtit de cette concurrence : le temps consacré a baissé d'un tiers depuis 1986. 

Une partie est consacrée à l'attention, vue du côté du cerveau et des neurosciences. La plupart des informations que nous traitons le sont inconsciemment. (cf expérience du gorille invisible)

Les études montrent que plusieurs éléments peuvent à coup sûr attirer notre attention. Toutes les informations convoquant une partie de notre identité (nom et prénom par ex). Le sexe aussi ! Même chose pour une information constituant un danger ou un avertissement. Les arguments de la peur sont beaucoup plus aisés à produire et rapides à diffuser que ceux qui permettent de renouer les fils d'une confiance si nécessaire à la vie démocratique. Une situation de conflit représente un attrait cognitif certain. "L'indignation est un feu et les réseaux sociaux comme de l'essence. Le moindre événement, aussi banal soit-il, se transforme en enjeu moral impératif." 

La surprise, l'événement, l'inédit sont des aimants puissants de notre attention. La curiosité est une des grandes qualités de l'espèce humaine. Les médias jouent sur ce phénomène en utilisant des titres accrocheurs, des questions stéréotypées : vous ne devinerez jamais, les 10 meilleurs, 5 choses que vous ne savez pas...Notre esprit s'organise entre une recherche de formes de routine et une appétence pour l'imprévu. 

Les informations égocentrées (la mode des selfies, des publications privées sur les réseaux sociaux) attirent notre attention. La sonnerie de notre téléphone provoque la même zone du cerveau que lorsque notre prénom est prononcé. L'utilisation de Facebook peut créer beaucoup de frustation et de jalousie. Cela peut donner l'impression que sa propre vie est moins intéressante que la sienne. Les chercheurs ont montré que ce qui est visé dans le partage d'articles c'est une anticipation du regard des autres, de leur intérêt et des récompenses symboliques qui en découlent (likes). Les algorithmes sont redoutables : les entreprises convertissent du temps d'attention en ressources financières. Les plateformes s'ajustent à nos conduites et aux traces que nous laissons dans l'univers numérique. 

Les médias l'ont bien compris. Un journal a essayé de plublier des bonnes nouvelles, il a perdu 70% de son lectorat. Une information négative est examinée plus attentivement, elle est mieux mémorisée, les stéréotypes négatifs résistent mieux à la contradiction et s'installent plus rapidement dans les esprits. Les fausses informations vont six fois plus vite que les vraies. Lorsqu'un esprit est distrait et qu'il doit décider rapidement, il a statistiquement tendance à endosser les fausses croyances. "La vérité ne se défend pas toute seule". 

L'auteur analyse les mots clés tapés dans Google, les sujets qui nous intéressent : ce n'est pas toujours à notre avantage. Notre temps d'attention se consacre à des sujets parfois futiles. Nous affichons des valeurs publiquement que nous n'appliquons pas en privé. Les gens affirment adorer Arte mais regardent TF1 ! Problème : les plateformes d'achat de livres ou de consommation de fictions dépendent des traces d'intérêt laissées dans cet univers. Le risque est grand que les algorithmes amplifient la médiocrité de nos choix et nous y enferment plutôt qu'ils nous aident à nous en émanciper...

Le danger est donc de plonger dans le populisme. Plusieurs pages sont consacrées à l'élection de Donald Trump, au docteur Raoult...Les mouvements sociaux sont qualifiés d'incontrôlables, un peu "comme le seraient une assemblée de cerveaux abandonnés à leurs intuitions immédiates et dépourvus de capacité d'inhibition." 

La fiction a pris une grande importance : c'est en lien avec cette attirance du cerveau pour ce qui est surprenant, l'incomplétude cognitive. La fiction entretient des rapports troubles avec le réel. On y voit souvent des signes du présent. La science-fiction qui se réalise. "Les récits que nous portons ou auxquels nous sommes accoutumés par la fiction ou par leur simple présence dans la sphère publique orientent notre regard et les modèles intellectuels qui se proposent spontanément à notre esprit pour rendre le monde intelligible. Ces récits guident non seulement notre attention mais, dans certains cas, notre conviction, parfois même contre les faits. Ainsi, une narration bien menée a plus d'impact sur notre esprit que des statistiques ou des données la contredisant. "

Conclusion

Que se passera-t-il quand les satisfactions proposées par le monde numérique seront de nature à concurrencer celles du monde réel ? 

La réalité virtuelle nous prendra-t-elle ce temps de cerveau disponible ? Le vide et l'ennui sont des tortures pour notre esprit. Une étude montre que des individus préfèrent s'administrer des chocs électriques plutôt que de supporter un temps de silence. 

Notre créativité a besoin de pouvoir régulièrement s'extraire des cycles addictifs de plaisirs immédiats. C'est à partir de cette créativité que l'humanité a fait émerger ses plus belles oeuvres dans le domaine artistique, technologique ou scientifique. Les jeunes générations ont une capacité d'attente 3 fois plus limité que les autres tranches d'âges. Elles sont capables de 35% de temps d'attention de moins que la génération précédente. 

Nous avons en nous les moyens de résister aux travers cognitifs de notre cerveau, de réorienter notre attention

Les enfants des grands créateurs des GAFA ont mis leurs enfants dans des écoles sans écrans ! Il y a qqs années la possession d'un ordinateur et l'accès à la technologie était une forme de distinction pour les milieux aisés, ce sont à présent les milieux défévorisés qui consacrent le plus de temps aux écrans. La fracture numérique que l'on craignait n'est pas allée dans le sens que l'on imaginait...

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